SEP 2009 · Un voyage en origine



Mais revenons sur l'intensité de mon expérience à Eskasoni, voulez-vous ? Aujourd'hui encore, je me demande si la GRC souhaitait tester ma résilience dans l'adversité en m'envoyant dans cette bourgade de Nouvelle-Écosse ou bien qu’il ait des pratiques plus extrêmes que d'autres pour se maintenir en vie ?

Le soir du deuxième jour m'en réserva toute une : en l'honneur des VIP en visite, je fus convié au rite ancestral de la hutte à sudation (the sweat-lodge ceremony) !



Dans la lueur du crépuscule, quelque part dans le bois, poireautait une dizaine d'hommes de tous âges à l'extérieur d'un baraquement, s’affairant à se dévêtir. D'abord, on m’invita à les imiter, puis on me tendit une courte serviette qui faisait à peine le tour de mes hanches. Debout et silencieux, les pieds nus dans la terre, je plongeais mon regard au centre d’une pyramide de bûches enflammées où rougeoyaient sous la braise des pierres polies de belles tailles.



Un à un, les hommes entraient sous l’armature de la tente circulaire recouverte de grossières retailles de bâches et de moquettes. À n’en pas douter, l'étanchéité avait la primeur sur le cosmétique. Tous assis en cercle dans la noirceur, à un avant-bras de distance chaque, nous écoutions attentivement les mots de bienvenue et le seul avertissement avant que ne commence la cérémonie : pour ne briser le lien, au cas où l’on ressente le besoin de quitter, on doit remercier les anciens en franchissant le seuil !


Vous allez rire, mais en parcourant mes archives, je viens tout juste de comprendre grâce à un communiqué 1 de la GRC sur les huttes à sudation que les fameux “anciens” sont littéralement : les pierres chauffées, connus sous le nom de grands-pères, sur lesquelles de l'eau est versée pour créer la vapeur. En tout cas, je peux vous dire que ce soir-là, ces grands-pères étaient chauds en Ta ... #%@k !




Au premier tour de quatre, l’eau versée sur les pierres sacrées, embrasées à l'extérieur et nichées au centre de la hutte, emplit tout l’espace d’un puissant jet gazeux  ! Sans blague, à faire pâlir les plus torrides geysers, la chaleur diffusée exultait des forges infernales de la Terre !

Tentant de recouvrir les parties de mon corps les plus exposées aux brûlures de l’air, je me recroquevillai sur le sol en position fœtale. La peau à l'épreuve du feu et le cerveau en ébullition, ma pensée oscillait entre le choix d’une mort cuite façon riz vapeur ou dans le style saucisse de hot-dog montréalais steamé à souhait…



Au bord du désespoir, égrainant les minutes de ce calvaire interminable à perdre des litres de sueur. Je perçus dans le lointain une voix étouffée clamant la fin de la première ronde.

Oh boy ! Vous n’imaginez même pas l’euphorie qui traversa chacune de mes cellules de retour dans la fraîcheur de la nuit.

Si la valeur de mes aptitudes s'écrivait sur une feuille de personnage d'un jeu de rôle ou vidéo, sans doute aurais-je augmenté drastiquement mon endurance !

Level-Up Baby :)



Au deuxième tour de quatre, on transporta de nouvelles pierres incandescentes, l'eau fut à nouveau répandue et la chaleur grimpa aussitôt. Parmi les convives, je me souviens d'un homme dans la soixantaine venu de Russie, sous les recommandations de son médecin, pratiquer ce rituel afin d'endiguer son cancer.

À présent parfaitement à l'aise dans les flammes de l'air ambiant, vint mon tour de conter librement, comme le veut la tradition, la première chose qu'on a sur le cœur ou qui nous traverse l'esprit.

Après avoir remercié nos hôtes pour la grande amabilité de leur accueil. Je dis sans aucune retenue, m’adressant à l'assemblée invisible dans l’obscurité, que je fus orphelin de naissance dans un pays lointain, la Perse. Qu'aujourd'hui encore, due à la situation politique en Iran, le retour était impossible. Que je ne connaîtrai jamais mes parents biologiques ni peut-être mon origine.



Jadis, je fus un petit être abandonné, désemparé par une réalité trop abrupte. Puis recueilli, quelques mois plus tard, par une famille française aimante. Dès lors, sain et sauf, je pense que c’est inscrit dans mon imaginaire la certitude d'avoir hérité d’une énergie vitale hors norme. En extrapolant un brin, disons qu’elle pourrait ressembler à cette énergie mystique chantée par Jimi Hendrix dans son album Electric Ladyland. J’étais devenu un enfant vaudou !

… Well, the night I was born    Lord, I swear the moon turned a fire red…

Dès que je redevins silencieux, en guise de ponctuation finale à mon histoire, le son grave d’un soupir collectif résonna dans la poitrine des hommes.

Heeeeeeey...




Au troisième tour de quatre, après une courte introduction, autorisant ceux qui le souhaitent à partager une nouvelle histoire avec le cercle. Ne voulant laisser en souvenir la note pesante du récit de ma naissance. Je repris la parole !

C'est fraichement débarqué de Paris à Montréal en 1994, alors perdu avec moi-même, que j'ai connu mon cher ami Ken Morrison. Témoin de mon mal-être, il me confia, dans la cuisine de son magnifique 5 1/2 sur la rue Saint-Urbain.

Tu sais Hugo, chez moi en Saskatchewan c'est facile de bien vivre, on a seulement trois choses à faire :

Rire, Rêver et Transpirer !




Ken tient cette maxime de la réserve proche de laquelle il a grandi. Maintenant, ce mantra m'accompagne tous les jours et aujourd'hui parmi vous, je pense comprendre finalement ce que Ken voulait dire par… Transpirer !

Haha ! J'entends encore l'escalade des éclats de rire qui retentirent sous la tente.





Au quatrième et dernier tour, la chaleur ne fléchissait toujours pas. La nouveauté provint cette fois-ci par l’entrée remarquée de larges tambours remis à deux jeunes gaillards.

Fini les palabres, place à la musique !




Je ne sais comment vous le décrire, mais lorsque les chants de gorge embarquèrent au rythme du martèlement de la peau tendue des instruments. C'est comme si le scintillement de la voûte céleste perçait la toile au-dessus de nos têtes et pourtant j’avais les yeux clos !



À l’unisson, je chante Mi’gmaq

La capsule cosmogonique

Navigue au large

De l’océan Préhistoire.

 

Flottons-nous sans relâche

Au gré des marées du Temps

Dans le ventre

Des mers astrales ?





Si vous me le permettez, un dernier mot ici pour mon père Hugues Vassal, grand reporter-photographe parti à l'âge de presque 90 ans au printemps 2023 qui n'aura eu la chance de lire ses lignes et d'apprécier ces clichés pour l'entendre, ne serait-ce qu'une fois, me dire à quel point il est fier. Nonobstant, je loue ici sa mémoire pour les trop rares moments passés ensemble. Ils furent clefs et pleins !




Alors salut mon pote ! Et tant pis pour toi, malgré ton odyssée captivante parmi les grands de ce monde, tu auras su passer à côté d’un rendez-vous des plus extraordinaires. Celui prit avec ton fils adoptif tout droit arrivé, à deux mois et demi seulement, de la pouponnière régie par la mère de l'impératrice Farah Pahlavi à Téhéran. Souviens-toi, papa, c'était moi "le roi des rois" à Paris, en ce jour de Noël 72.

Merci les anciens. Ithaque pleure. Ulysse et Télémaque ne se reverront plus.

Hugo V. 2024


1  RCMP press release regarding sweat ceremonies (2009)

A sweat is a sacred and healing ceremony that involves prayer, heat and steam from the Grandfathers (the sacred stones), plant medicines like sage and copal as a smudge, hand drum and songs. These ceremonies can be deeply moving and powerful and create strong bonds and connections for all who attend.

 

During the ceremony, participants sit inside where heated rocks, known as grandfathers, are brought in and water is poured over them to create steam. The heat mimics a baby’s experience inside the mother’s body.


Sweat lodges are part of Indigenous tradition as a space where sacred purification ceremonies are held for spiritual cleansing. The structure, made of natural materials, is to resemble a womb.

RCMP employees will be able to attend ceremonies for self-reflection and prayer, stated the release.