Enquête d'insécurité
Après avoir œuvré aux vidéos promotionnelles de recrutement dans les Forces canadiennes puis à celles de la Gendarmerie Royale du Canada, en tant que membre civil de 2007 à 2011, je fus mandaté à assurer la direction photographique et la capture sonore de plusieurs vidéos témoignages de corps de métier du SCRS, le Service canadien du renseignement de sécurité.


Le département des communications souhaitait que leurs vidéos promotionnelles aient un fort potentiel attractif en vue de nouvelles recrues en tant qu'agents de filature, agents de renseignement, agents de filtrage de sécurité et professionnels en technologie de pointe. Pour ce faire, le choix de la direction artistique du projet s'orienta très tôt vers la facture cinématographique des films d’espionnage à la Jason Bourne, incarné par ce bon vieux Matt Damon qui défrayait la chronique aux box-offices en 2011.


À présent, des années plus tard, je retiens de ces ineffables tournages avoir eu la chance de découvrir en dehors des sentiers battus plusieurs grandes métropoles du Canada et des personnes aux vies professionnelles pour le moins étonnantes. Une expérience totalement jubilatoire pour mon imaginaire de cinéaste !
À chaque déplacement, un état de sidération permanent m'accompagnait. Par exemple, de nombreuses portes communément verrouillées à triple tour s'ouvraient comme par enchantement ! Cela grâce au précieux sésame de la côte de sécurité dont j’étais détenteur au fédéral. Fun fact, pour le niveau le plus élevé de la côte, les enquêteurs remontent parfois jusqu’à la petite enfance du candidat ! Au risque de vous décevoir, je n’eus droit à ce traitement de faveur. En revanche, permettez-moi de vous livrer une anecdote lors de mon entretien d’allégeance pour une décennie à ce service.
Pas de polygraphe ni de sérum de vérité, mais une simple conversation bon-enfant avec un examinateur dans un petit bureau exempté de toute décoration. Une fois assis et les présentations faites, je me souviens très bien de sa première question — Quelle a été une des pires situations de stress que vous ayez vécue ? Je répondis d'une traite — Probablement la fois où j'ai traversé une enclave palestinienne avec ma mère ! Le visage de mon vis-à-vis s'allongea et dubitatif attendait la suite…


Parenthèse.
J'écris ces lignes en février 2025 et les dirigeants israéliens ont glissé dans l'obscurité, pour ne pas dire dans l'obscurantisme. Remarquez que par les temps qui courent, la tendance au sommet des nations est à la glissade ! Aussi, pour reprendre les mots d'Hannah Arendt, sur cette brèche1 de l'histoire, je cherche à me mouvoir.
Fin de la parenthèse.
Donc à l'occasion du mariage de mon cousin, je rejoins ma mère, arrivé quelques jours auparavant de Paris, dans un petit appartement à Netanya, cité balnéaire et bastion de la communauté francophone israélienne. La journée qui précède la cérémonie, nous partons sur les routes, projetant une excursion dans la vieille ville de Jérusalem. J'emporte les mots que mon père m'avait un jour prononcé — Hugo, si tu vas à Jérusalem, essaie de comprendre pourquoi trois religions monothéistes se partagent un minuscule lopin de terre.



En mai 2007, les navigateurs GPS étaient en option sur les voitures de location et trop fier de mon sens aiguisé de l’orientation, je m'y refuse. C'est donc au flair, dans un pays qui m'est totalement étranger, ne parlant ni arabe ni hébreu, que je conduis ma chère maman Annette, assise à ma droite, en direction d'un site trois fois millénaire inscrit au patrimoine mondial de l'humanité.
Deux heures après avoir roulé sur de grandes artères, les voies se resserrent en bordure d’une large agglomération. Le trafic devient plus dense et nous offre un chaos au travers duquel, après maintes circonvolutions, nous débouchons face aux remparts de la vieille Jérusalem. Le constat est sans appel : la citadelle est imprenable ! Aucun stationnement n’est libre ou autorisé à proximité.


Hélas, l’âge de ma mère ne peut crapahuter sur des kilomètres et il est hors de question de rebrousser chemin si près du but. Alors, me vient l'idée de contourner l’enceinte au sud-ouest pour atteindre la porte de Sion, dans l'espoir d'un parking providentiel. Longeant le mur de renfort, je m'engage sur une route qui s'enfonce dans une petite vallée de plus en plus clairsemée d'habitations. Dans la descente, remarquant que les passantes sont voilées, je m'entends dire à Annette — Maman, mets ton foulard !
En bas de la côte, l'asphalte sous nos roues se change en une terre rocailleuse projetant un léger panache ocre en arrière du véhicule. Il me semble pourtant être dans la bonne direction, car au loin, dans le haut d’une courbe apparaît la porte de Sion et son cortège de bus touristiques cordés en rang d’oignon.


Quand, après avoir parcouru quelques centaines de mètres dans la gravelle, je stoppe l'auto devant un barrage improvisé de deux énormes roches. Je descends de la voiture et entreprend de déplacer l'une d'elles. Relevant la tête, j'aperçois à flanc de collines un bon nombre de gents fondre sur nous. La peur au ventre, le sentiment de mettre ma mère en danger, je pousse de toutes mes forces. Ça pivote ! J'entre dans l'habitacle, démarre au quart de tour, trouve l'espace suffisant entre les rochers, un coup d'œil dans le rétroviseur et la foule est en bas. Clank fait un impact sur la carlingue. Notre bolide hors de portée, je m'entends dire — C'est bon maman, tu peux enlever ton foulard !



L'examinateur, les yeux ronds et s'il pouvait, la main dans un sac de pop-corn, me dit — Comment à l'avenir feriez-vous pour éviter cette situation ? Moi — Et bien la prochaine fois, je prendrai la carte du coin !
Parenthèse.
À propos de la carte du coin, je suis bien heureux de ne pas en avoir fait usage. Je remercie mon intuition d'avoir navigué en dehors des tracés tronqués par les accords de Balfour ou d'un autre ou d'ailleurs. Enfin voici ma réponse papa : — Peu importe l'obédience, on partage le même lopin de terre, car on partage le même récit, la même histoire !
Fin de la parenthèse.

Hugo V. 2025
1
Hannah Arendt
"L'homme se tient sur une brèche, dans l'intervalle entre le passé révolu et l'avenir infigurable. Il ne peut s'y tenir que dans la mesure où il pense, brisant ainsi, par sa résistance aux forces du passé infini et du futur infini, le flux du temps indifférent."
La crise de la culture. Huit exercices de pensée politique (1972)