SEP 2009 · ESKASONI FIRST NATION
Laissez-moi, s'il vous plait, vous raconter une des expériences les plus intenses que j’ai rencontrées dans le monde du vivant jusqu’à aujourd'hui !



Entre 2009 et 2011, dans le cadre de mon travail de vidéaste et photographe à la Gendarmerie Royale du Canada (GRC), j'ai eu la chance et l'immense honneur de me rendre à quelques reprises dans des territoires appelés réserves où vivent majoritairement les populations des Premières Nations du Canada.

Je chéris encore le souvenir fabuleux d'une d'elles, Eskasoni First Nation située en Nouvelle-Écosse, le long du bien nommé Bras d'or Lake!
Au commencement fut une courte visite protocolaire au domicile du chef de cette modeste réserve Mi'gmaq. Qu'il proposa dans la conversation de revenir, chez lui, le lendemain manger une ventrée de homards annonçait un séjour sous les meilleurs auspices !

Ma mission pour le département des communications au recrutement était de filmer sur place le témoignage d'un membre de la communauté sur le pourquoi et le comment celui-ci avait choisi "d'entrer dans la GRC". On dit souvent que chaque histoire est unique. La sienne ne dérogeait pas à la règle.


C'est au troisième jour qu'il confiera, en off, la raison pour laquelle il rejoint les rangs de la police dans le but de veiller sur sa collectivité et de prévenir contre la criminalité. Un jour en forêt, le corps imbibé d'alcool, il faillit perdre la vie, enseveli sous l'épais manteau neigeux d'une tempête hivernale, ne ressentant pas la morsure du froid.



J'ai longuement arpenté les rues d'Eskasoni, caméras en main, dans l'objectif de dégotter un emplacement intéressant pour l'entretien. C'est lors de ce repérage, happé par le sentiment d'évoluer en dehors du temps, que mes yeux ressentirent instinctivement l'envie de capturer chaque instant en immersion tel un documentariste. Autant dire que mon désir, même si je ne l'ai saisi qu'à mon retour, allait totalement à contrario de la production d’images séductrices de propagande réclamée par Ottawa. En résumé, inconsciemment, je faisais très mal mon travail !


À la pêche à l'image

Mais qu'importe, j'étais en confiance derrière la caméra. Elle désinhibait ma timidité maladive face à l'altérité et avec elle, j'avançais sous l'eau comme le ver de terre au bout de sa ligne. Je taquinais le goujon. Quand soudain, le temps de le dire, je devins le centre d'intérêt d'un groupe d'adolescents se demandant assurément pourquoi un foutu photographe, arrivant de nul-part, se tenait là sur le perron de leur maison ?



Pratiquer sur le vif la photographie est ce que j'affectionne le plus. Mais évidemment, dans le cadre de mon mandat, je rencontrais certaines figures imposées : comme tirer le portrait des policiers arborant fièrement le célèbre uniforme Red Serge de la Gendarmerie Royale.


Un court créneau dans l'horaire du tournage m'autorisait à réaliser quelques images de notre ami dans son habit d'apparat. Mais c'était sans compter sur un soleil de plomb qui faisait ruisseler ses tempes à grosses gouttes, ne rendant malheureusement pas justice au digne symbole vestimentaire canadien.

Et puis, comme par magie, en revenant vers la maison du policier, ont accouru toutes souriantes ses petites filles à notre rencontre. Par chance, je n'avais pas rangé mon matériel et continuais à "shooter". C'est ainsi que je parvins in extremis à saisir l'image enjôleuse tant attendue par mes patrons de la capitale, donnant le feu vert à leur campagne de recrutement chez les populations dites "autochtones" à l'époque.
